Manque de dynamisme chronique
Depuis quelques années, BRUGEL alerte le Gouvernement sur la baisse continue de la concurrence sur le marché bruxellois de l’énergie. Dans un avis proposé en 2021, le service des Affaires socio-économiques du régulateur bruxellois avait démontré qu’une telle situation pouvait amener les consommateur·rice·s à ne plus pouvoir faire jouer la concurrence au niveau des prix, obtenir de nouveaux contrats, changer de fournisseur ou bénéficier d’un service énergétique en cas d’endettement prolongé.
« À l’époque, le marché de l’énergie bruxellois avait perdu 50 % de ses fournisseurs principaux, dont deux qui proposaient les meilleures offres. Et comme attendu, le prix de l’énergie était supérieur à celui proposé dans les autres régions du pays. En 2022, nous avons à nouveau constaté une nouvelle diminution du nombre de fournisseurs d’énergie actifs en Région de Bruxelles-Capitale », constate Carine Stassen, responsable du service Affaires socio-économique de BRUGEL.
Mécanismes trop coûteux
Les raisons de ce manque de dynamisme ? Elles peuvent être résumées en deux éléments majeurs, d’une part, le cadre légal et les mécanismes de protection mis en place responsabilisent les fournisseurs bien plus que dans les autres régions et d’autre part, la situation socio-économique de la Région bruxelloise. « Le mécanisme de protection est trop coûteux et trop risqué pour les fournisseurs, son efficacité pour les consommateur·rice·s en difficulté est remise en cause par BRUGEL », précise-t-elle. « Le fait que les prix de l’énergie se soient envolés n’a fait qu’accentuer ce problème et précipiter la décision de certains fournisseurs de quitter le marché bruxellois. »
Un marché sous haute tension
La hausse des prix a également eu pour conséquence de créer une forte tension sur les liquidités des fournisseurs. Dépendant de la manière dont ils avaient couvert à l’avance les volumes d’énergie qu’ils ont dû livrer durant la crise, certains ont dû acheter de l’énergie sur le marché au prix fort et ont été contraints de le revendre aux consommateur·rice·s finaux·ales au prix convenu, régulièrement inférieur. Conséquences : les fournisseurs aux assises financières fragiles ou insuffisantes se sont retrouvés dans des situations compliquées. Certains ont même été contraints de cesser leur activité.
« Les fournisseurs ont également dû faire face à un risque accru d’impayés de leur clientèle. En effet, certain·e·s client·e·s étant impacté·e·s par la hausse des prix n’ont plus eu la possibilité de payer leurs factures d’énergie. Les fournisseurs se sont alors retrouvés avec des retards de paiement ou des non-paiements mettant également à mal leurs liquidités. »
Des fournisseurs hors marché
Début 2022, Octa+, AECO (anciennement Energie 2030) et Elexys, trois fournisseurs encore actifs sur le marché, ont disparu du paysage énergétique bruxellois. Durant la même année, un nouveau fournisseur (Bolt) fait une entrée éclair sur le marché avant de se retirer en octobre 2022. Tout comme OCTA+, AECO (clientèle résidentielle et professionnelle) et Elexys (clientèle professionnelle) ont été contraints de cesser leurs activités en Région de Bruxelles-Capitale ou en Belgique.
Procédure bien huilée
« Comme beaucoup d’autres fournisseurs avant eux, AECO et Elexys n’ont plus été en mesure de garantir la fourniture à leur clientèle respective ni d’honorer leurs engagements vis-à-vis de SIBELGA. Le GRD bruxellois leur a dès lors retiré l’accès aux réseaux de gaz et d’électricité bruxellois. Parallèlement à cette résiliation, BRUGEL leur a également retiré leurs licences de fourniture. Les client·e·s de ces fournisseurs défaillants ont été rapidement invité·e·s à conclure un nouveau contrat avec le fournisseur de leur choix endéans les 25 jours. Passé ce délai, la fourniture a été assurée par le fournisseur de substitution, à savoir Engie Electrabel », précise encore Carine Stassen.
Tactique d’évitement
Devenus particulièrement frileux quant aux règlements qui régissent le marché bruxellois de l’énergie, les fournisseurs encore présents progressent à pas chassés et mettent en oeuvre des stratégies ingénieuses pour se protéger. « Nous avons ainsi observé qu’hormis Engie, les autres fournisseurs qui font encore offre à Bruxelles, à savoir Luminus et TotalEnergies, avaient adopté plusieurs stratagèmes pour éviter de s’engager. Soit ils refusaient de proposer leurs produits d’électricité et de gaz les meilleurs marchés comme en Flandre ou en Wallonie, soit ils majoraient les prix de leurs produits en comparaison avec la Flandre et la Wallonie. »
Fin des contrats à prix fixe
En 2022, BRUGEL a également pu observer la fin des contrats à prix fixe pour la majorité des fournisseurs sur l’ensemble de la Belgique. « Les raisons sont également à chercher dans le cadre légal qui permet à n’importe quel consommateur·rice résidentiel·le ou professionnel·le avec une faible consommation de changer de contrat d’électricité et de gaz sans frais. La hausse des prix de l’énergie a fait craindre aux fournisseurs que des client·e·s pourraient contracter des contrats à prix fixe, pour ensuite les dénoncer lorsque les prix baisseraient à nouveau. Les fournisseurs auraient ainsi dû acheter l’énergie à prix fort pour ensuite la revendre à bas prix au moment de la rupture du contrat, générant des pertes importantes pour eux. »
Fournisseur de substitution
En cas de défaillance d’un fournisseur d’énergie, BRUGEL s’attache à ce que les client·e·s puissent disposer de toutes les garanties du mécanisme de sécurité d’approvisionnement repris dans l’ordonnance. Ils ou elles sont invité·e·s à conclure un nouveau contrat de fourniture avec un autre fournisseur de leur choix. Entre-temps, la fourniture est assurée par un fournisseur de substitution (Engie Electrabel en RBC) aux conditions du contrat par défaut. « Si la résolution d’une telle défaillance devait se faire au travers d’une logique de marché, nous aboutirions inévitablement à des résultats socialement et économiquement inacceptables », explique Carine Stassen. « Ce constat impose dès lors la mise en place d’une règlementation robuste et équitable à même de protéger les intérêts des consommateur·rice·s. »
Communication transparente
« En tant que régulateur bruxellois, notre mission consiste à accompagner les fournisseurs défaillants et les client·e·s victimes de cette défaillance. Nous devons également nous assurer que le fournisseur de substitution n’applique aucune mesure discriminatoire et informe correctement les client·e·s quant aux modalités de fournitures qui leur sont proprosées », précise Karine Sargsyan, responsable du service juridique. « Afin d’organiser la fourniture de substitution d’une manière optimale, il serait souhaitable que tous les acteurs impliqués communiquent d’une manière claire, transparente et dans un délai court. Cette communication devrait s’adresser avant tout aux client·e·s du fournisseur défaillant, mais également au régulateur. Un rapportage vers le régulateur devrait par la suite s’opérer pour permettre le suivi du bon déroulement de la procédure. »
Étude comparative
En 2022, le régulateur bruxellois a rendu un avis finalisé sur les conditions d’application du régime de substitution en vigueur en Région de Bruxelles-Capitale. Sur la base d’une étude comparative et tenant compte de son expérience en matière de défaillance des fournisseurs, BRUGEL a ainsi proposé des pistes d’améliorations législatives sur le régime actuel de fourniture de substitution (lire également page 40).
De concert avec les deux autres régulateurs régionaux du pays (CWaPE et VREG), BRUGEL avait en son temps procédé à une analyse de ces conditions d’application afin de les faire évoluer au niveau national. Selon les trois régulateurs, la responsabilité de fournisseur de substitution devrait logiquement revenir aux GRD régionaux. « Désignés comme opérateurs pivots de la procédure, ces GRD devraient ensuite avoir la possibilité de sous-traiter cette mission à un ou plusieurs fournisseurs choisis via une procédure transparente et concurrentielle. »
Fournisseur historique
En Région de Bruxelles-Capitale, la désignation du fournisseur historique (Engie Electrabel) comme fournisseur de substitution résulte en fait d’un règlement établi lorsque le marché a été libéralisé. « À l’époque, il était nécessaire de trouver des solutions pragmatiques et opérationnelles pour pallier les défaillances possibles des fournisseurs. Au regard du droit européen, il nous semble aujourd’hui injustifié que le fournisseur historique puisse continuer à accueillir automatiquement les client·e·s des fournisseurs défaillants. Dans notre avis, nous insistons dès lors sur le fait que cette mesure ne répond plus aux dispositions européennes dans un marché libéralisé. Le Gouvernement de la RBC n’a pas encore donné suite », conclut Karine Sargsyan.